Cass. civ 3ème : 10 avril 2025 – RG n°23-14.974
📜 La Cour de cassation a rendu un arrêt ce jour concernant l’articulation entre l’obligation de délivrance et une clause de non-recours insérée au bail commercial.
Selon l’article 1719 : Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations.
L’article 1720 ajoute : Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Or, il n’est pas rare d’insérer au sein d’une convention locative une clause de non-recours empêchant le preneur de se retourner contre le bailleur en cas de désordres.
Quid de la validité d’une telle clause eu égard à l’obligation de délivrance, qui rappelons-le, est d’ordre public ?
📌 En l’espèce, la société locataire louant des bureaux a assigné sa bailleresse en référé aux fins d’expertise en raison des désordres affectant la chose louée (infiltrations d’eau). L’Expert est désigné le 10 septembre 2009 et le 12 mars 2010, la preneuse signifie un congé pour le 14 septembre 2010.
En octobre 2011, la bailleresse assigne la société locataire en paiement de loyers et chargés et, entre autres, afin de prendre en charge les réparations locatives. Selon le rapport d’expertise, rendu le 31 octobre 2015, la bailleresse a mis en cause son assureur, ALLIANZ IARD, tandis que la société locataire a demandé reconventionnellemnt le remboursement d’une partie des loyers et charges ainsi que l’indemnisation des préjducies subis et nés selon elle d’un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.
La cour d’appel de VERSAILLES, dans son arrêt du 23 février 2023, a rejeté les demandes formulées par la preneuse en raison de l’article 6.3 du bail qui prévoyait que « le preneur s’engage pour lui-même et ses assureurs à renoncer à tout recours contre le bailleur et ses assureurs du fait de la destruction ou de la détérioration totale ou partielle de tous matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises, du fait de la privation ou de troubles de jouissance des lieux loués et même en cas de perte totale ou partielle des moyens d’exploitation »‘.
La locataire forme un pourvoi en critiquant l’arrêt au motif que cette clause privait la société locataire de toute demande d’indemnisation sur le fondement du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.
La Cour de cassation rappelle que :
- le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, en bon état de réparations de toute espèce, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, d’y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives, et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
- une clause de non-recours n’ayant pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
Reste que pour rejeter les demandes indemnitaires de la preneuse, l’arrêt retient cette clause prive le preneur de toute demande d’indemnisation sur le fondement du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance, y compris celle au titre de l’indemnisation du surcoût du loyer. C’est ainsi que la Haute juridiction casse l’arrêt puisqu’il s’agit d’une violation des articles 1719 et 1720 du Code civil.
Autrement dit, la clause de non-recours est valable mais ne permet pas pour autant d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
Lien vers la décision commentée : https://www.courdecassation.fr/decision/67f7699e346c8e4db4347588?search_api_fulltext=bail%20commercial&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=1