Dépôt de garantie excédant deux termes de loyer : obligation exorbitante de droit commun justifiant une minoration de la valeur locative ?

7 Mai 2025 | Jurisprudence

  

Cass. civ 3ème : RG n°23-15.394

📜 Dans un arrêt rendu le 7 mai dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir si un dépôt de garantie de six mois de loyer pouvait constituer un facteur de minoration de la valeur locative.

Rappelons tout d’abord que selon l’article L145-40 du Code de commerce « Les loyers payés d’avance, sous quelque forme que ce soit, et même à titre de garantie, portent intérêt au profit du locataire, au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes« .

L’article L145-33 3° du Code de commerce dispose que : 

« Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :

[…]

3 Les obligations respectives des parties »

L’article R145-8 du même Code ajoute : 

Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l’une ou l’autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.

Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.

Ainsi, il est courant de s’interroger sur l’impact (ou non) d’une clause et si celle-ci peut être considérée comme exorbitante de droit commun et entrainer une minoration de la valeur locative.

📌  En l’espèce, la société Nougat Chabert et Guillot  preneuse à bail commercial de locaux à usage d’usine, de magasin et de bureaux, a sollicité le renouvellement de son bail. La bailleresse a accepté le principe du renouvellement, mais les parties ne s’accordant pas sur le montant du loyer, la locataire a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2018 à la valeur locative à la baisse.

La preneuse faisait valoir que le loyer était payable « trimestriellement d’avance » et que le montant du dépôt de garantie était de « six mois » de loyer, de surcroît « majoré de la TVA » tandis qu’il n’y est pas soumis, soit au total plus de neuf mois de loyer HT d’avance. De ce fait, elle estimait que cette charge financière dépassant le montant usuel constituait « un motif justifiant une minoration de la valeur locative ».

La Cour d’appel de Grenoble (CA GRENOBLE 23 février 2023) a toutefois rejeté cette demande. Si elle a concédé que ce sont bien trois termes de loyers qui sont versés à la bailleresse par avance, elle estime néanmoins que « ces stipulations ne sont pas contraires aux dispositions de l’article L. 145-40 du code de commerce » et qu’ « il ne s’agit pas d’une charge exceptionnelle et [qu’] il n’y a donc pas lieu de minorer la valeur locative à ce titre ».

La société preneuse forme donc un pourvoi en arguant que le fait d’imposer au locataire une obligation au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages, constitue un facteur de diminution de la valeur locative et donc que la cour d’appel a violé les articles L. 145-33, L. 145-40 et R. 145-8 du code de commerce. 

La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi en estimant qu’il n’y a pas lieu de pratiquer un abattement dans la mesure où l’excédant de dépôt de garantie trouve une contrepartie : le preneur a la possibilité, en vertu de l’article L145-40 du Code de commerce (qui est d’ordre public rappelons-le) d’appeler les intérêts sur les sommes versées par avance excédant deux termes de loyer au taux pratiqué par la Banque de France.

« 7. Dès lors qu’elle a pour contrepartie l’obligation légale du bailleur de payer au locataire des intérêts à un taux fixé par la loi, une stipulation d’un bail commercial qui met à la charge du locataire une obligation de payer en avance des sommes excédant celle correspondant au prix du loyer de plus de deux termes ne constitue pas en soi un facteur de diminution de la valeur locative. »

A contrario, s’il n’y avait pas eu de contrepartie, il est possible que la Cour de cassation ait considéré qu’il y avait bien lieu de pratiquer un abattement.

Lien vers la décision commentée : https://www.courdecassation.fr/decision/681af5d70dfb1f09369ce225?search_api_fulltext=bail+commercial+&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&op=Rechercher+sur+judilibre&previousdecisionpage=0&previousdecisionindex=6&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=8