Incompatibilité d’une saisie-conservatoire avec des travaux de remise en état & indemnité d’immobilisation

5 Juin 2025 | Jurisprudence

📜 La Cour d’appel de Versailles a rendu le 5 juin dernier un arrêt dans lequel le bailleur a pratiqué 4 saisies-conservatoires à l’encontre de son locataire, les créances visées étant des travaux de remise en état du local commercial loué ainsi que des indemnités d’immobilisation.

Texte applicable. A titre liminaire, rappelons que l’article L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose qu’une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire (à l’instar d’un bail notarié).

Or, les conditions sont strictes, l’article L 511-1 alinéa 1er du même code précise qu’une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur est possible sous réserve de justifier de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

Se pose surtout la question de savoir si la créance invoquée peut effectivement donner lieu à saisie.

📌 Dans le cas d’espèce, un bail commercial notarié a été conclu entre PSA RETAIL FRANCE et la SCI DS. La bailleresse estimait que le titre exécutoire (la convention locative) lui permettait de saisir les sommes correspondant à des travaux de remise en état et à l’indemnité d’immobilisation des locaux dans la mesure où, contractuellement, la preneuse s’était notamment engagée à laisser, les locaux loués en bon état d’entretien et d’usure normale, de propreté et de réparations, et libres de toute occupation et de mobilier.

Suite au jugement rendu le juge de l’exécution versaillais qui a ordonné la main-levée des saisies, la Cour d’appel s’est prononcée tant sur la recevabilité des demandes, a confirmé la main-levée des saisies pratiquées et condamné la bailleresse à indemniser le préjudice subi du fait desdites saisies.

Sur la recevabilité des demandes de la SCI DS. La société PSA Retail France, preneuse, fait valoir l’irrecevabilité des demandes de la SCIDS au motif qu’elle n’a plus d’intérêt à agir n’ayant plus la qualité de bailleresse depuis la vente du site objet du bail entre les parties à une autre société et ce en date du 15 mai 2023.

Le principe de créance allégué par SCI DS a pour objet le coût de travaux de remise en état chiffré selon le rapport en date du 24 septembre 2021et des indemnités d’occupation relatives aux locaux commerciaux donnés à bail à la société PSA Retail France, de sorte que l’appelante ayant la qualité de bailleresse à la date de l’introduction de la présente procédure l’acte de vente allégué étant postérieur à l’assignation et qu’au surplus, cet acte précise qu’ « il existe à ce jour avec l’Occupant un contentieux relatif à l’expertise nationale des éventuels travaux de dépollution des sites confiée à l’APAVE. Les premiers rapports d’expertise reçus pour d’autres sites que l’Immeuble ont été contestés par le Vendeur qui a introduit une instance afin que l’APAVE soit déchue de sa mission d’expertise au profit d’un expert judiciaire. Le Vendeur subroge l’Acquéreur dans le bénéfice ou la perte des actions qui ont été menées par le Vendeur à l’encontre de l’Occupant, exclusivement en ce qui concerne l’Immeuble. », la SCI DS a par conséquent un intérêt à constater la mainlevée des saisies conservatoires sollicitées pour garantir les créances qu’elle prétend détenir.

Sur la recevabilité des demandes de la SCI DS. Les 4 procès verbaux de saisies conservatoires contestés en date des 20 et 23 mai 2023 mentionnent chacun au titre de la cause de la créance en premier lieu ‘des travaux de remise en état’ chiffré à hauteur de 6 258 600 TTC euros.

La créance litigieuse prétendue par la bailleresse à hauteur de la somme susvisée suppose des manquements à différentes obligations contractuelles de sa locataire. Ces justifications ne résultentdès lors pas du contrat lui même puisque celui-ci ne peut établir la preuve de l’inexécution reprochée, en l’espèce contestée. Ils supposent non seulement l’appréciation de l’existence de la faute alléguée mais aussi de son importance pour fixer le montant de la créance, éléments qui ne résultent pas de l’acte notarié.

Il s’en déduit qu’elle ne peut se prévaloir de ce titre pour pratiquer les saisies conservatoires litigieuses en vue du recouvrement du principe de créance résultant des travaux de remise en état.

La bailleresse ne peut pas davantage s’en prévaloir pour les indemnités d’immobilisation résultant de l’indisponibilité des locaux suite à ces travaux.

Les conditions de l’article L 512-1 susvisées étant cumulatives, l’appelante ne peut poursuivre les mesures conservatoires à l’encontre de sa locataire et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a ordonné la mainlevée des quatre saisies conservatoires litigieuses par substitution de motifs et ce quel que soit l’existence d’un péril dans le recouvrement du principe de créance allégué.

Préjudice subi du fait de la saisie. La SAS PSA Retail France demandait une indemnisation de 1 000 000 euros en ce qu’elle a subi un nombre important de saisies pratiquées par la partie adverse ainsi que des frais bancaires facturés par les établissements, le coût de l’immobilisation des sommes bloquées sur les comptes pendant la présente procédure, le préjudice financier sur les opérations non réalisées (paiement des salaires, cotisations sociales, taxes , fournisseurs), le préjudice d’image à l’égard des banques et des clients, le préjudice lié à la désorganisation de ses services.

La Cour d’appel de Paris infirme le jugement rendu et octroie une somme de 10.000 € au titre des dommages-intérêts. 

Lien vers la décision commentée : https://www.courdecassation.fr/decision/684277dc8f2222eee52907fa?search_api_fulltext=bail%20commercial&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=0&previousdecisionindex=7&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=9