📌La Cour de cassation a rendu un arrêt le 12 juin dernier au sujet de la résiliation d’un bail commercial du fait de l’absence de paiement des loyers postérieurs à l’ouverture d’un redressement judiciaire de la société preneuse, lequel s’est toutefois suivi d’une liquidation judiciaire.
A titre liminaire, rappelons :
– la dualité de compétence entre le tribunal judiciaire et le juge-commissaire en matière de résiliation d’un bail commercial pour défaut de paiement d’un loyer postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective : https://cabinetnoyer.fr/procedure-collective-du-locataire-dualite-de-competence-entre-juge-commissaire-et-tribunal-judiciaire-en-matiere-de-constatation-de-la-resiliation-dun-bail-commercial-gazette/
– que devant le juge-commissaire, le bailleur peut rédiger une requête aux fins d’obtenir la résiliation du bail sous réserve de patienter trois mois après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire soit trois mois après l’ouverture de la liquidation judiciaire venant sur résolution du plan. De plus, le juge commissaire doit se placer pour statuer à la date du dépôt de la requête (Cass. 18 janvier 2023 n°21-15.576 : https://www.courdecassation.fr/decision/63c79efada31367c908eb906 )
Textes applicables.
L’article L622-14 du Code de commerce dispose que :
Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision de l’administrateur de ne pas continuer le bail. Dans ce cas, l’inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.
Si le paiement des sommes dues intervient avant l’expiration de ce délai, il n’y a pas lieu à résiliation.
Nonobstant toute clause contraire, le défaut d’exploitation pendant la période d’observation dans un ou plusieurs immeubles loués par l’entreprise n’entraîne pas résiliation du bail.
Selon l’article L.622-27 du même Code : S’il y a discussion sur tout ou partie d’une créance autre que celles mentionnées à l’article L. 625-1, le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l’invitant à faire connaître ses explications. Le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire, à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances.
L’article L641-11-1 I et II ajoute :
I. – Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire.
Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif.
II. – Le liquidateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.
Lorsque la prestation porte sur le paiement d’une somme d’argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour le liquidateur à obtenir l’acceptation, par le cocontractant du débiteur, de délais de paiement. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, le liquidateur s’assure, au moment où il demande l’exécution, qu’il disposera des fonds nécessaires à cet effet.S’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, le liquidateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.
L’article L641-12 3° précise :
Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
[…]
3° Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l’article L. 622-14.
Le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent. En ce cas, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite.
Le privilège du bailleur est déterminé conformément aux trois premiers alinéas de l’article L. 622-16.
Enfin, l’article 500 du Code de procédure civile rajoute que : A force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. Le jugement susceptible d’un tel recours acquiert la même force à l’expiration du délai du recours si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai.
🔍 Dans le cas d’espèce, la société titulaire de deux baux commerciaux avec deux bailleurs différents a été mise en redressement judiciaire le 23 octobre 2019. Les sociétés bailleresses soutenant que les loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective demeuraient impayés, elles ont saisi le juge-commissaire afin que celui-ci puisse constater la résiliation du bail.
Le Juge-commissaire a ainsi accueilli favorablement la demande des bailleresses et a prononcé la résiliation des baux.
La société preneuse, son administrateur judiciaire et son mandataire judiciaire ont interjeté appel de ces deux décisions.
Au cours de ces instances d’appel, le tribunal a prononcé la résolution du plan de redressement de la société locataire et ouvert une procédure de liquidation judiciaire.
Le 12 avril 2023, le tribunal a arrêté le plan de cession lequel incluait la cession des baux commerciaux.
La Cour d’appel de BORDEAUX a néanmoins confirmé les deux décisions de première instance (CA Bordeaux 5 et 12 septembre 2023).
Un pourvoi est ainsi formé au motif que lorsque la liquidation judiciaire est ouverte sur résolution du plan, il ne s’agit pas d’une conversion de la procédure de redressement en cours, mais d’une nouvelle procédure collective.
⚖️ La Cour de cassation casse les arrêts d’appel en confirmant qu’il résulte des textes précités qu’une liquidation judiciaire ouverte concomitamment à la résolution d’un plan de redressement constitue une nouvelle procédure collective, laquelle fait obstacle à la résiliation du bail des immeubles pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire.
La Haute juridiction précise que le bailleur dispose cependant de la faculté de se prévaloir d’une décision constatant ou prononçant la résolution du bail dès lors que cette décision a acquis force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de cette nouvelle procédure.
La cour d’appel s’est contentée de relever qu’à la date de la requête du bailleur déposée trois mois après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, la société preneuse restait devoir des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture.
Or, dès le 8 mars 2023, le plan de redressement avait été résolu de sorte que la résiliation des baux ne pouvait plus intervenir en application de l’article L. 622-14, 2° du fait de la liquidation judiciaire de cette société ouverte le même jour.
Autrement dit, la Cour d’appel ne pouvait prononcer la résiliation des baux pour des créances de loyers dus entre le 23 octobre 2019, date de l’ouverture du redressement juduciaire et l’ouverture de la liquidation judiciaire. Seuls les loyers postérieurs à la liquidation, sous réserve de respecter le délai de 3 mois, auraient pu justifier la résiliation SAUF décision constatant ou prononçant la résolution du bail ayant acquis force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de cette nouvelle procédure.
Lien vers la décision commentée : https://www.courdecassation.fr/decision/684a6c183ec57bb95fcfd585?search_api_fulltext=bail%20commercial&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=1