Cass. civ 3ème – RG n°23-14.099
📜 Dans un arrêt rendu le 10 avril 2025, la Haute juridiction s’est prononcée sur l’interprétation d’une clause impactant les travaux de mise aux normes sur le preneur dès la prise à bail. Plus précisément, il était question de savoir si les travaux de sécurité-incendie, obligatoires dans un ERP, étaient à la charge du locataire ou du bailleur afin de déterminer si ce dernier avait ou non manqué à son obligation de délivrance.
Pour mémoire, l’article 1719 du Code civil dispose que :
Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations.
Selon l’alinéa 1 de cet article, le bailleur est ainsi dans l’obligation de donner à bail un local respectant les normes règlementaires liées à l’activité contractuellement prévue, sauf clause contraire.
📌 En l’espèce, un incendie est survenu dans des locaux appartenant à la société Musique Center (la bailleresse) et donnés à bail commercial à la société Group Bumper (la locataire).
L’incendie a pris naissance sur un des panneaux photovoltaïques, installés par la société Solelec services Caraïbes, devenue la société Sunzil Caraïbes (le producteur), dans le cadre d’une convention de mise à disposition de la toiture conclue par la locataire le 2 décembre 2004.
La bailleresse a assigné en responsabilité et indemnisation la locataire et son assureur ainsi que le producteur et son assureur et le vendeur des panneaux photovoltaïques.
Il ressort des termes du contrat de bail en date du 31 août 2008 que le preneur et le bailleur ont renoncé expressément à tout recours réciproques au titre des risques d’incendie mais aussi que les travaux de mises aux normes seraient effectués et pris en charge par la locataire.
La Cour d’appel a retenu que
- « les négligences d’une gravité extrême du locataire, confinant au dol, démontre son inaptitude à l’accomplissement de ses obligations contractuelles quant à la sécurité des lieux donnés à bail »
- selon l’article 11 du bail, le locataire s’obligeait notamment à se conformer à la réglementation le concernant, prenant les lieux dans l’état où ils se trouvent au moment de l’entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur, pendant toute la durée du bail, aucune mise en état ni aucune réparation de quelque nature ou de quelque importance que ce soit, y compris le gros entretien et les grosses réparations, par dérogation expresse à l’article 606 du code civil ; qu’il était également contractuellement tenu d’effectuer dans les lieux loués et ses annexes, toute réfection ou tout remplacement dès qu’ils s’avéreront nécessaires de tous travaux de mises aux normes des locaux de sorte qu’ils soient en tout temps conforme aux prescriptions administratives », que « le locataire, qui avait connaissance des plans et descriptifs de l’ensemble immobilier, a exploité pendant 14 ans ledit ERP sans autre remise en état ou aux normes, lequel dès sa construction, présentait en sa structure plancher et parois périphériques, des non-conformités au regard du règlement de sécurité ; que la réserve notamment, séparée en deux par une cloison en plaques BA 13 montées sur une structure métallique, n’avait pas été construite avec des parois périphériques et son plancher n’était pas qualifié stable au feu ; que l’établissement était dépourvu de dispositif de désenfumage et de robinet d’incendie armé », et « que par suite, au regard des stipulations contractuelles conférant au preneur la mise aux normes de l’établissement pour son exploitation, aucun manquement à son obligation de délivrance ne peut être imputé au bailleur par le preneur, quant aux locaux ayant fait l’objet d’un premier contrat en 1999 »
Autrement dit, la Cour a retenu que dans la mesure où les stipulations contractuelles mettent à la charge de la locataire la mise aux normes de l’établissement, la locataire a commis une faute lourde en exploitant sans aucune remise aux normes l’établissement ouvert au public et en s’affranchissant « délibérément pendant près de quatorze ans » de ses obligations réglementaires et légales en matière de sécurité.
La locataire et son assureur ont formé un pourvoi au motif que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance d’un local conforme à la destination prévue par le bail et donc que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l’article 1719 du code civil.
La Cour de cassation rappelle que la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-recours. Constitue une faute lourde le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée. Cette faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur.
Surtout, la Haute juridiction casse l’arrêt rendu au motif que l’immeuble loué présentait dès sa construction des non-conformités au regard des règles de sécurité-incendie (réserve non construite avec des parois périphériques, plancher instable au feu, absence de dispositif de désenfumage et de robinet d’incendie armé) alors que le bail ne contenait aucune clause mettant à la charge de la locataire les travaux pour remédier aux non-conformités avec les règles de sécurité-incendie existantes au moment de la délivrance initiale des locaux loués.
La rigueur est ainsi de mise dans le cadre de la rédaction d’un bail, d’autant plus lorsque la chose louée et nue et qu’il existe de nombreux travaux nécessaires. Dans cette affaire, le bail originel avait la possibilité de répercuter tous les travaux, y compris le 606 (grosse réparation). Si les travaux de mise aux normes étaient visés, la jurisprudence a tendance à interpréter restrictivement ce type formule. En l’état, il aurait fallu que la clause vise explicitement la règlementation sécurité-incendie, celle insérée au bail ayant été jugée insuffisante.
Lien vers la décision commentée : https://www.courdecassation.fr/decision/67f7692f346c8e4db43474f6