Droit de préférence du locataire commercial : la Cour de cassation précise les contours de l’exception de « cession unique de locaux commerciaux distincts »

16 Nov 2025 | Jurisprudence

🔑 La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel ayant considéré qu’une vente par acte unique de locaux commerciaux appartenant à des propriétaires distincts constituait une « cession unique » au sens de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, faisant ainsi obstacle au droit de préférence du locataire commercial. Elle rejette néanmoins le pourvoi au motif que la vente portait également sur un lot non compris dans le bail.

L’article L. 145-46-1 du Code de commerce, issu de la loi Pinel du 18 juin 2014, dispose que lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par notification. Ce dispositif d’ordre public confère au locataire un droit de préférence lui permettant d’acquérir prioritairement le local dans lequel il exerce son activité.

Toutefois, le dernier alinéa de ce texte prévoit plusieurs exceptions à ce droit de préférence, notamment celle relative à « la cession unique de locaux commerciaux distincts ».

📌 En l’espèce, par acte notarié du 12 novembre 2019, la SCI Delépine a acquis d’une part les lots n° 1, 21, 51, 52, 53 et 54 appartenant indivisément aux consorts M., d’autre part les lots n° 41, 55 et 56 appartenant à Mme M. seule.

Les lots n° 21, 51, 52, 53 et 54 (acquis auprès des consorts M.) étaient donnés à bail commercial à la société Épernay Immobilier. Les lots appartenant à Mme M. seule faisaient l’objet d’un bail commercial distinct au profit d’une autre société.

La locataire, invoquant son droit de préférence prévu par l’article L. 145-46-1, a assigné les vendeurs, le notaire et l’acquéreur en annulation de la vente et en dommages-intérêts.

La cour d’appel de Reims (11 juillet 2023) rejette la demande du locataire en retenant que la transaction constituait une « cession unique de locaux commerciaux distincts ». Elle considère que l’acte unique signé à la même date avec le même acquéreur caractérisait une cession unique au sens de l’exception légale, peu important que deux articles distincts correspondaient à deux situations patrimoniales différentes (indivision d’une part, propriété exclusive d’autre part).

👉 La Haute Cour casse l’arrêt mais rejette le pourvoi :

« Ne constitue pas une cession unique au sens de ce texte la cession par un acte de vente unique des locaux donnés à bail commercial et d’autres locaux appartenant respectivement à des propriétaires distincts. C’est donc à tort que la cour d’appel a retenu que la locataire n’était pas fondée à contester l’existence d’une cession unique au motif que les locaux n’appartenaient pas à un seul propriétaire. »

📍 L’unité formelle de l’acte ne suffit pas à caractériser une « cession unique » lorsque les vendeurs sont distincts. Cette exception suppose nécessairement l’identité du vendeur.

Cependant, la Cour de cassation rejette le pourvoi par substitution de motif, relevant que la vente portait non seulement sur les lots donnés à bail à la locataire (lots n° 21, 51, 52, 53 et 54) mais également sur le lot n° 1 qui n’entrait pas dans l’assiette du bail commercial.

« Le locataire à bail commercial ne bénéficie pas d’un droit de préférence lorsque le local pris à bail ne constitue qu’une partie de l’immeuble vendu. »