Le bailleur qui souhaite mettre fin au contrat de location peut décider de ne pas renouveler le bail commercial arrivé à échéance. On parle de “congé avec refus de renouvellement”. Mais que devient alors le locataire évincé, et surtout, que devient son commerce ? S’il souhaite maintenir son activité, il devra trouver un nouveau local, avec toutes les démarches, coûts, et perte de valeur que cela implique. Pour compenser son préjudice, le bailleur doit donc lui verser une indemnité d’éviction. Mais dans quels cas précisément ? Et comment son montant est-il fixé ? Maître NOYER, avocat expert des baux commerciaux, vous l’explique dans cet article.

L’indemnité d’éviction due dans le cadre d’un bail commercial : définition, mode de calcul et exemples

Qu’est-ce qu’une indemnité d’éviction ?

 

Une indemnité d’éviction est une compensation, versée par le bailleur qui refuse le renouvellement du bail commercial, au locataire évincé du local exploité dans le cadre de son activité commerciale.

Lorsque le congé du bailleur est donné pour des motifs graves et légitimes, ou pour 4 autres motifs bien spécifiques détaillés dans cet article, le propriétaire n’est pas tenu de dédommager le preneur.

En dehors de ces 5 cas précis, il devra lui verser une indemnité d’éviction, selon l’article L145-14 du Code de commerce. Le calcul de cette indemnité obéit à des règles complexes.

Comment calculer l’indemnité d’éviction du bail commercial ?

1. Déterminer s’il y a perte ou maintien du fonds de commerce

Le fonds de commerce désigne l’ensemble des biens matériels (mobilier, matériel) et immatériels (clientèle, enseigne, etc.) utilisés par le commerçant pour exploiter son activité.

a) Le déplacement du fonds de commerce

Lorsque le locataire peut déménager dans un autre local sans perdre sa clientèle, on considère que le fonds de commerce est simplement déplacé : le locataire n’est pas nécessairement contraint de cesser son activité.
Mais il appartient au bailleur de le prouver. On parle de “présomption de perte du fonds de commerce”.

b) Le remplacement du fonds de commerce

Pour certains types de locaux, notamment les hôtels, le locataire évincé ne pourra généralement pas déplacer son activité sans perdre le fonds de commerce. Il devra donc le remplacer.

Vous l’aurez compris, un des enjeux majeurs d’une procédure d’éviction est de déterminer si le congé avec refus de renouvellement entraîne ou non la perte du fonds de commerce. Les sommes en jeu peuvent rapidement être conséquentes, c’est pourquoi les parties ont tout intérêt à se faire accompagnées par un spécialiste.

2. Calculer l’indemnité principale

L’indemnité d’éviction est composée d’une indemnité principale et d’indemnités accessoires. Commençons par détailler les modalités de calcul de l’indemnité principale.

Le droit au bail

Dans le cas d’un déplacement du fonds de commerce, l’indemnité principale équivaut, en principe, à la valeur du droit au bail. Pour la calculer, il faut comparer le loyer payé par le locataire, à la valeur locative du bien sur le marché. Si le loyer du bail est inférieur à la valeur locative du quartier ou de la zone, alors la valeur du droit au bail augmente.

La situation géographique du local est aussi un critère important. Un emplacement stratégique, par exemple dans une rue commerçante ou dans une zone de passage, valorisera davantage le droit au bail.

Le fonds de commerce

En cas de perte du fonds de commerce, l’indemnité principale équivaut à la valeur du droit au bail, ou à celle du fonds de commerce : le Tribunal retiendra la somme la plus élevée.

La valeur du fonds de commerce est calculée généralement sur la base du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années.

On peut également utiliser l’excédent brut d’exploitation (EBE), mais la première méthode est la plus courante.

3. Ajouter les indemnités accessoires

Les indemnités accessoires correspondent aux dépenses supplémentaires que le preneur devra engager en raison de son départ forcé :

 

  • frais de déménagement ;
  • frais de réinstallation dans un nouveau local ;
  • frais de licenciement du personnel ;
  • frais de remploi : acte, droits et taxes liés à l’acquisition d’un nouveau fonds de commerce ou droit au bail ;
  • pertes sur stock : stock de marchandises non écoulées dans les délais impartis ;
L’indemnité d’éviction est composée d’une indemnité principale et d’indemnités accessoires.
  • trouble commercial : perte de temps subie par le locataire pour rechercher de nouveaux locaux au détriment de l’activité commerciale, et autres perturbations sur l’exploitation du fait de la perte du fonds à venir.

Certaines indemnités ne concernent que les cas de remplacement de fonds de commerce :

  • perte partielle de clientèle ; 
  • frais de double loyer : lorsque le locataire évincé est temporairement contraint de conserver les anciens locaux parallèlement aux nouveaux.
  • perte sur salaire : lorsque le trouble commercial donne lieu à des salaires versés malgré une période d’improductivité pendant le transfert.

Et concrètement ?

Calcul de l'indemnité d'éviction pour un restaurateur

Le cas du restaurateur

Un restaurateur qui serait évincé de son local en centre-ville, mais en mesure de retrouver un bien équivalent à proximité, avec une clientèle similaire, pourrait se voir dédommagé de la manière suivante :

 

  • indemnité principale : valeur du droit au bail ;
  • indemnités accessoires : prise en charge des frais de déménagement, de réinstallation, de double loyer, et de salaire (masse salariale journalière de l’entreprise multipliée par le nombre de jours d’improductivité).
Le calcul de l'indemnité d'éviction pour une boutique de luxe

L’exemple de la boutique de luxe

L’indemnité d’éviction versée à une boutique de luxe qui perdrait un emplacement prestigieux, et serait dans l’incapacité d’attirer la même clientèle ailleurs, pourrait être décomposée comme suit :

 

  • indemnité principale : valeur du fonds de commerce (si celle-ci est supérieure à celle du droit au bail);
  • indemnités accessoires : trouble commercial, frais de déménagement et de réinstallation, frais de licenciement de personnel, et pertes sur stock.
Le calcule de l'indemnité d'éviction pour un résidence de tourisme

Les spécificités des résidences de tourisme

L’investissement dans une résidence de tourisme consiste à acquérir un appartement dans un ensemble immobilier neuf, pour en confier la gestion à une société spécialisée. Celle-ci se charge de l’accueil des résidents, de l’optimisation du taux d’occupation, de l’entretien, etc. Elle perçoit les loyers au nom du propriétaire (l’investisseur), et lui reverse par la suite.

Il arrive fréquemment que ce type de bail instaure des relations contractuelles déséquilibrées en faveur des grands complexes hôteliers. Notamment, les indemnités d’éviction exigées en cas de refus de renouvellement peuvent atteindre des montants considérables. C’est encore plus vrai lorsque les bailleurs ne sont pas accompagnés.

À titre d’exemple, la Cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 10 septembre 2024, s’est prononcée sur l’indemnité d’éviction due par le propriétaire d’une villa proche des Sables d’Olonne à un gestionnaire professionnel :

  • Indemnité principale : la valeur du fonds de commerce a été évaluée à 41.800 €, sur la base d’un chiffre d’affaires de 16.720 €.
  • Indemnités accessoires : prise en charge des frais de remploi (4 180 €), compensation du trouble commercial (2 090 €).
    Le tout pour un total de 48 000 €. 

Ce montant ne doit pas être pris comme un indicateur, car chaque situation est unique. Les montants peuvent atteindre des niveaux bien plus élevés que dans cet exemple !

Nous arrivons au terme de cet article dédié à l’indemnité d’éviction du bail commercial. Vous devriez désormais savoir si vous êtes redevable d’une telle indemnité, ou si vous pouvez y prétendre. Si oui, alors le meilleur conseil reste celui-ci : faites-vous accompagner par un expert des baux commerciaux ! Vous pourrez ainsi espérer maximiser le montant de l’indemnité, ou au contraire la réduire le plus possible. 

Maître Jean-Marc NOYER

Avocat expert des baux commerciaux à Paris

Je conseille et représente mes clients, bailleurs et locataires, à Paris et partout en France.

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