La loi du 18 juin 2014, dite loi PINEL, a marqué un tournant dans la réglementation des baux commerciaux. Conçue pour renforcer l’attractivité du commerce de proximité tout en équilibrant les relations contractuelles entre bailleurs et locataires, cette loi apporte des modifications majeures que tout professionnel concerné par un bail commercial doit connaître. Dans cet article, Maître Jean-Marc NOYER, avocat expert en baux commerciaux, décrypte les 10 points clés de cette réforme pour vous permettre de mieux comprendre vos droits et obligations.
1. La répartition des travaux et des charges
Avant l’entrée en vigueur de la loi PINEL, bailleurs et locataires pouvaient librement définir, dans leur contrat, la répartition de leurs charges respectives. Depuis, plusieurs obligations encadrent cette répartition :
- Dresser un inventaire des catégories de charges : à la signature du bail, les parties doivent dresser un inventaire précis des catégories de charges (eau, électricité, entretien, travaux sur les parties communes…), des impôts et taxes liés au bail, ainsi que leur répartition. Ce document doit être intégré au bail, ou figurer en annexe.
- Laisser certaines dépenses à la charge du bailleur : certaines dépenses ne peuvent plus être mises à la charge du preneur. Il s’agit par exemple des honoraires de gestion du local, ou encore des “grosses réparations” visées par l’article 606 du Code civil.
Les grosses réparations ne sont pas définies précisément par le code civil, mais pour simplifier, il s’agit des travaux qui impactent la structure et la solidité de l’immeuble, comme un ravalement de façade par exemple. Pour plus d’informations sur le sujet, consultez notre article dédié aux travaux dans le cadre du bail commercial.
2. L’état des lieux d’entrée et de sortie du local commercial
Avant la loi PINEL, le locataire d’un bail commercial était présumé avoir reçu les locaux en bon état à défaut d’état des lieux d’entrée. Tel n’est plus le cas aujourd’hui pour les locaux commerciaux.
Le bailleur ne peut plus faire valoir cette présomption de “bon état” s’il n’a pas fait établir un état des lieux d’entrée. La loi PINEL incite donc fortement les propriétaires à faire réaliser un état des lieux d’entrée et de sortie.
L’état des lieux d’entrée permet d’évaluer précisément l’état du local (sol, peinture, électricité…) lorsque le locataire en prend possession. Il est à comparer à l’état des lieux de sortie, lorsqu’il le quitte, afin de déterminer les éventuels frais de remise en état. En cas de conflit, le Tribunal va pouvoir s’appuyer sur ces documents de référence pour décider si les frais réclamés par le bailleur sont justifiés ou non.
À l’entrée comme à la sortie, les états des lieux doivent être établis de manière contradictoire et amiable par les parties, ou par un tiers mandaté par elles. En cas de désaccord, il faudra faire appel à un commissaire de justice (anciennement appelé huissier), et partager les frais à parts égales.
3. Le prévisionnel des travaux
Depuis la loi PINEL, lors de la conclusion du contrat, puis tous les trois ans, le bailleur doit communiquer au locataire un état prévisionnel des travaux qu’il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorti d’un budget prévisionnel.
Il doit également lui adresser un récapitulatif des aménagements réalisés dans les trois années précédentes, et le coût associé.
Le texte de loi ne prévoit toutefois pas de sanction particulière en cas de non-respect de cette obligation par le bailleur.
4. La limitation des baux fermes
En principe, selon le Code de commerce, les baux commerciaux ont une durée minimale de neuf ans, mais le locataire a la possibilité de résilier le contrat avant son terme, à chaque échéance triennale (à 3, 6 ou 9 ans).
En pratique, avant la loi PINEL, il arrivait fréquemment que le locataire renonce à ce droit de résiliation, en insérant une clause spécifique au contrat. Le bail était dit “ferme”.
La loi PINEL a limité le recours à ces clauses, en ne l’autorisant que pour certains cas particuliers :
- Les baux de plus de neuf ans ;
- Les locaux à usage exclusif de bureau ;
- Les locaux monovalents (destinés à une seule utilisation, comme un hôtel ou une clinique par exemple) ;
- Les locaux de stockage.
5. La durée des baux commerciaux dérogatoires
Les baux dérogatoires, souvent appelés – à tort – “baux précaires”, sont des contrats conclus pour une courte durée. Ils permettent au locataire entrepreneur d’expérimenter son concept, sans s’engager sur le long terme.
Avant l’entrée en vigueur de la loi PINEL, le bail dérogatoire avait une durée maximale de deux ans. Ce plafond a été porté à trois ans, offrant une plus grande flexibilité aux entreprises confrontées à des incertitudes économiques.
6. La simplification du congé du preneur
Avant la réforme, un locataire qui ne souhaitait pas renouveler le bail arrivé à son terme devait obligatoirement recourir à un commissaire de justice. Depuis l’entrée en vigueur de la loi PINEL, le preneur peut également donner congé par lettre recommandée avec accusé de réception.
Ce formalisme est plus simple et moins onéreux pour le locataire, qui fait l’économie des services du commissaire, mais il est aussi plus risqué. En effet, la lettre recommandée avec accusé de réception peut engendrer des difficultés de distribution : mauvaise réception, perte du courrier par le bailleur… Étant donné l’importance d’un tel acte, il reste donc préférable de recourir aux services d’un commissaire de justice.
Pour plus d’informations sur le sujet, référez-vous à notre article sur le refus de renouvellement du bail commercial.
7. Le lissage PINEL, ou l’encadrement du déplafonnement du loyer du bail commercial
Plusieurs mécanismes permettent d’ajuster le montant du loyer en cours de contrat : la révision triennale, l’indexation, ou encore le renouvellement du bail. Dans ces trois situations, si certains critères sont remplis, il est possible de “déplafonner” le loyer, c’est-à-dire de le réviser pour le faire correspondre à la valeur locative du local.
La valeur locative est une notion très complexe qui correspond, pour simplifier, à l’estimation du loyer annuel d’un local sur le marché, compte tenu de ses caractéristiques et de son environnement. Elle est, le plus souvent, évaluée dans le cadre d’une expertise immobilière.
La loi PINEL est venue encadrer le déplafonnement du loyer, en imposant une hausse progressive de 10% par an, jusqu’à atteindre la valeur locative. On parle de “lissage du loyer”.
Pour un exemple de calcul, consultez notre article dédié à l’augmentation du loyer du bail commercial. Vous y découvrirez, dans le détail, l’ensemble des mécanismes de variation du loyer et leur cadre juridique.
8. L’indice du coût de la construction
Comme indiqué précédemment, le loyer peut varier tout au long de la vie du bail commercial. On distingue 3 mécanismes d’ajustement : la révision triennale, l’indexation, et le renouvellement du bail.
En principe, la variation du loyer est basée sur l’évolution d’un indice économique de référence, défini par les parties : l’ICC (indice du coût de la construction), l’ILC (indice des loyers commerciaux), ou l’ILAT (indice des loyers des activités tertiaires).
Depuis la loi PINEL, l’ICC ne peut plus être pris en référence dans le cadre de la révision triennale et du renouvellement. Il reste néanmoins éligible pour l’indexation.
9. Le droit de préemption du locataire
La loi PINEL a introduit une nouvelle obligation pour les propriétaires de local à usage commercial ou artisanal. Désormais, en cas de projet de vente, ils doivent informer le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception (ou remise en main propre contre récepissé ou signature), en précisant le prix et les conditions de la vente.
Pendant un mois après réception, le locataire a la possibilité de se porter acquéreur, de manière prioritaire par rapport aux tiers. Et si le bailleur fait une offre plus avantageuse à un tiers, il devra obligatoirement en informer le preneur. On parle de “droit de préemption”, ou “droit de préférence” du locataire.
10. La garantie solidaire du cédant du bail commercial
En cas de cession du bail d’un locataire à un autre, il est possible d’instaurer un mécanisme de garantie solidaire, visant à limiter le risque financier du propriétaire. Ce dernier peut alors poursuivre le locataire cédant, si le locataire cessionnaire ne paye pas son loyer ou ses charges.
L’article L 145-16-2 du Code de commerce, issu de la loi PINEL, est venu limiter la durée de cette garantie solidaire à trois ans, à compter de la cession. Au-delà de cette période, le bailleur ne pourra donc plus poursuivre le cédant. La Cour de cassation a jugé que cette disposition était d’ordre public, ce qui signifie que les parties ne peuvent pas y déroger par contrat.
En complément, l’article L 145-16-1 du Code de commerce impose au bailleur d’informer le cédant de tout défaut de paiement du locataire cessionnaire dans un délai d’un mois, renforçant ainsi la protection du cédant.
En conclusion, la loi PINEL a bouleversé les relations entre bailleurs et locataires dans le cadre des baux commerciaux. L’objectif était d’offrir davantage de transparence et de protection pour le locataire. Toutefois, elle suscite encore aujourd’hui de nombreuses difficultés d’interprétation, et le bilan est plus que mitigé.
Source : LOI n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises
Maître Jean-Marc NOYER
Avocat expert des baux commerciaux à Paris
Je conseille et représente mes clients, bailleurs et locataires, à Paris et partout en France.